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lundi 21 septembre 2020

Attypique (avec 2 T) / accès libre / Last Interview Victor Hugo



Elles et Ils sont l'Histoire

Elles et Ils font l'actualité

Attypique.com réalise leur @LAST_INTERVIEW *
 




@attypique  /  Last interview Victor Hugo  


« La chute des grands hommes 

rend les médiocres et les petits importants »



Victor Hugo, académicien et rebelle, haut dignitaire et exilé, souvent présenté comme le génie universel aux multiples talents a été avant tout un visionnaire précoce. A 12 ans il écrit ses premiers poèmes. 
Royaliste, il publie un essai, « Le dernier jour d'un condamné » (1829) en faveur de l'abolition de la peine de mort qu'un ministre, François Guizot, échoue de peu à faire voter. Sous le règne du "roi-bourgeois" Louis-Philippe 1er, le chef de l'école romantique se mue en notable et pair de France. Il devient républicain sous la IIe République (1848) et en appelle à la création des États-Unis d'Europe quand le continent entre en ébullition. Visionnaire et populaire, incontestablement. Exilé aussi avant de connaître les honneurs. 
Victor Hugo est mort à Paris le 23 Mai 1885 à 83 ans. Plus de 3 millions de personnes ont assisté à ses funérailles. Un écrivain est vivant tant que ses livres continuent à nous parler. En 2020, Victor Hugo est toujours vivant et actuel.
Dans un de ses livres « les Misérables », il livre certaines réflexions à l’image de celle-ci qui éclaire sa vie : "Il vient une heure où protester ne suffit plus : après la philosophie, il faut l'action." en précisant « aujourd’hui, ce qui salit le poète et le philosophe ce n'est pas la pauvreté, c'est la vénalité, ce n'est pas la crotte, c'est la boue ». Victor Hugo toujours dans l'actualité.





Attypique.com: Comment écrivez-vous ? Souhaitez-vous offrir vos  conseils à de jeunes auteurs ?
Victor Hugo : « Accepter dans l'occasion le mot cru, rejeter le mot sale. Éviter ces deux écueils le mot impropre, le mot malpropre. L'adjectif, c'est la graisse du style. Celui-là seul sait écrire qui écrit de telles sorte qu'une fois la chose faite, on n'y peut changer un mot. C'est le style qui fait la durée de l’œuvre et l'immortalité du poète. La belle expression embellit la belle pensée et la conserve; c'est tout à la fois une parure et une armure. Le style sur l'idée, c'est l'émail sur la dent. Admirons les grands maîtres, ne les imitons pas. C'est une mauvaise manière de protéger les lettres que de prendre les lettrés. Ce sont les mots nouveaux, les mots inventés, les mots faits artificiellement qui détruisent le tissu d'une langue. En littérature, le plus sûr moyen d'avoir raison, c'est d'être mort." Chexpire ", quel vilain nom! - On croirait entendre mourir un Auvergnat. »


Attypique.com: Vous n’hésitez pas a inclure de l’argot dans vos romans comme dans « Les Misérables ». Pourquoi ?
Victor Hugo : « L'argot c'est le verbe devenu forçat. L'argot est tout ensemble un phénomène littéraire et un résultat social ... La misère a inventé une langue de combat qui est l'argot. L'argot, c'est la langue des ténébreux. Si certains de mes personnages le sont, il est normal que je les fasse parler de cette manière. »


Attypique.com: Que représente le théâtre pour un auteur tel que Vous ?
Victor Hugo : « Il y a deux manières de passionner la foule au théâtre: par le grand et par le vrai. Le grand prend les masses, le vrai saisit l'individu. Je ne reconnais pour grand écrivain que celui qui a telle page qui est comme son visage et telle autre page qui est comme son âme. »

Attypique.com: Vous dessinez beaucoup. Que représente l’art à vos yeux ?
Victor Hugo : « L'art, c'est la création propre à l'homme. L'art est le produit nécessaire comme la nature est le produit nécessaire et fatal d'une intelligence finie. L'art est à l'homme ce que la nature est à Dieu. L'art, c'est le reflet que renvoie l'âme humaine éblouie de la splendeur du beau. L'art, c'est le relief du beau au-dessus du genre humain ».


Attypique.com: Vous avez été un homme politique réellement engagé voire exilé. Que vouliez-vous réformer en vous engageant en politique? Une certaine idée de la Liberté et de la Justice ?
Victor Hugo : « Monsieur, j'ai pour principe, écoutez bien cela, d'admirer l'admirable et de m'en tenir là. Qu'appelez-vous justice ? Qu'on s’entraide, qu'on soit des frères, qu'on vêtisse ceux qui sont nus, qu'on donne à tous le pain sacré, qu'on brise l'affreux bagne où le pauvre est muré. Or, aujourd’hui, ce qui salit le poète et le philosophe, ce n'est pas la pauvreté, c'est la vénalité, ce n'est pas la crotte, c'est la boue. C'est l'extirpation du faux goût qui, depuis près de trois siècles, substituant sans cesse les conventions de l'école à toutes les réalités, a vicié tant de beaux génies. Ne l’oublions pas : la liberté commence où l'ignorance finit. Il y a une divinité horrible, tragique, exécrable, païenne. Cette divinité s'appelait Moloch chez les hébreux et Teutatès chez les celtes; elle s'appelle à présent la peine de mort. Je suis de mon siècle et je l'aime! ».


Attypique.com: Quelles voies avez-vous voulu privilégier pour aider les plus faibles ?
Victor Hugo : « Un peu d’histoire pour atteindre l’essentiel : Avant l'imprimerie, la Réforme n'eût été qu'un schisme, l'imprimerie l'a faite révolution. Ôtez la presse, l'hérésie est énervée. Que ce soit fatal ou providentiel, Gutemberg est le précurseur de Luther. Il faudrait faire pénétrer de toutes parts la lumière dans l'esprit du peuple: car c'est par les ténèbres qu'on le perd. Ceux qui vivent sont ceux qui luttent. Osons le dire : la guerre, c'est la guerre des hommes, la paix c'est la guerre des idées. Il ne peut y avoir rien que de factice, d'artificiel et de plâtré dans un ordre de choses où les inégalités sociales contrarient les inégalités naturelles. Je disais hier à Ch. Dupin: - M. Guizot est personnellement incorruptible et il gouverne par la corruption. Il me fait l'effet d'une femme honnête qui tiendrait un bordel ».





Attypique.com: La plupart de vos récits décrivent la réalité d'une misère grandissante notamment dans certains faubourgs de Paris. Lorsque le  parlementaire Hugo aborde ce sujet à la tribune de l'assemblée nationale, celle-ci se montre moins sensible à son discours qu'a ses livres. D’où le divorce politique entre Vous et la parti "de l'ordre". Vous confirmez ?  

Victor Hugo : « Oui, l'accueil de ma déclaration à l'Assemblée Nationale sur ma volonté de détruire la misère fut froid en effet (juin 1849). Pourtant je dis que la société doit dépenser toute sa sollicitude, toute son intelligence , toute sa volonté pour que de tels faits (liés à la misère) ne soient pas. Je dis que de tels faits , quand ils existent dans un pays civilisé , engagent la conscience de la société toute entière, que je m'en sens moi qui parle, solidaire et complice, et que de tels faits ne sont pas seulement des torts envers l'homme que ce sont des crimes envers Dieu ». 





Attypique.com: Pensez-vous que l’Europe politique existera un jour ?
Victor Hugo : « Le scepticisme est la carie de l'intelligence. Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne ! Amis, la persécution et la douleur c'est aujourd'hui ; les États-Unis d'Europe, les Peuples-Frères c'est demain... Au vingtième siècle, il y aura une nation extraordinaire... Elle sera illustre, riche, puissante, pacifique, cordiale au reste de l'humanité. Elle aura la gravité douce d'une amie... elle aura quelque peine à faire la différence entre un général d'armée et un boucher... Elle s'appellera l'Europe et aux siècles suivants, plus transfigurée encore, l'Humanité ».


Attypique.com: Vous avez connu la vie d’un exilé pour des raisons politiques. Comment avez-vous vécu cette période de censure ?
Victor Hugo : « Bonté de l'exil. - Voltaire est plus Voltaire à Ferney qu'à Paris. Danton fut l'action dont Mirabeau avait été la parole. J’en ai la conviction : l'encrier brisera les canons. Devant la conscience, être capable, c'est être coupable. La censure est mon ennemie littéraire, la censure est mon ennemie politique. La censure est de droit improbe, malhonnête et déloyale. J'accuse la censure. La chute des grands hommes rend les médiocres et les petits importants. Quand le soleil décline à l'horizon, le moindre caillou fait une grande ombre et se croit quelque chose. L'exil est une espèce de longue insomnie. L'exil, c'est aussi la nudité du droit. »


Attypique.com: Croyez-vous a une puissance surnaturelle qui dépasserai l’humain ou pensez vous que l’homme lui même renferme du divin ?
Victor Hugo : « Je ne puis regarder une feuille d'arbre sans être écrasé par l'univers. Dieu est derrière tout, mais tout cache Dieu. Dieu, c'est la raison ; Dieu, c'est l'amour ; Dieu, c'est l'être; C'est le devoir de vivre après le droit de naître. A la chose la plus hideuse mêlez une idée religieuse, elle deviendra sainte et pure. Infini et éternel, ce sont là les deux aspects de Dieu. L'homme ne sera adulte que le jour où son cerveau pourra contenir dans sa plénitude et dans sa simplicité la notion divine. Attachez Dieu au gibet, vous avez la croix. Lorsqu’on jette un regard sur la création, une sorte de musique mystérieuse apparaît sous cette géométrie splendide; la nature est une symphonie; tout y est cadence et mesure; et l'on pourrait presque dire que Dieu a fait le monde en vers. Tout crépuscule est double, aurore et soir. Cette formidable chrysalide qu'on appelle l'univers trésaille éternellement de sentir à la fois agoniser la chenille et s'éveiller le papillon. Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu.»


Attypique.com: Victor Hugo et les femmes, c’est une histoire dense, parfois compliquée, ardente, passionnée, forcément emprunte de romantisme. A l'automne de sa vie, comment a aimé ou aime encore le poète Hugo ?
Victor Hugo : « Aimer, c'est savoir dire je t'aime sans parler. L'Amour participe de l'âme même. Il est de même nature qu'elle. Comme elle il est étincelle divine; comme elle il est incorruptible, indivisible, impérissable. C'est un point de feu qui est en nous, qui est immortel et infini, que rien ne peut éteindre. A vingt ans, on est plus amoureux qu'autre chose; à soixante on est plus autre chose qu'amoureux. Aimer quelqu'un, c'est lui donner de l'importance à ses propres yeux, l'aider à croire en lui même. Aimer, c'est savourer, au bras d'un être cher, - La quantité de ciel que Dieu mit dans la chair... J’ajoute qu’a Aucune grâce extérieure n'est complète si la beauté intérieure ne la vivifie. Ce génie particulier de la femme qui comprend l'homme mieux que l'homme ne se comprend. La femme a une puissance singulière qui se compose de la réalité de la force et de l'apparence de la faiblesse. Dans la bouche d'une femme, non n'est que le frère aîné de oui. Je pense des femmes comme Vauban, des citadelles. Toutes sont faites pour êtres prises. Toute la question est dans le nombre des jours du siège. Une jolie femme est un casus belli ; une jolie femme est un flagrant délit. En amour, tel mot, dit tout bas, est un mystérieux baiser de l'âme à l'âme. L'amour, panique de la raison, se communique par le frisson. Je lègue au pays, non ma cendre, - Mais mon bifteck, morceau de roi. - Femmes, si vous mangez de moi, - Vous verrez comme je suis tendre... »


Attypique.com: Finalement, au regard de votre œuvre, c’est toujours l’humain et ses secrets qui constituent l’axe essentiel. Comment l’homme peut-il s’élever voire se dépasser ? Par la raison ou par le rêve ? 
Victor Hugo : « La raison, c'est l'intelligence en exercice ; l'imagination, c'est l'intelligence en érection. La grandeur se compose de deux éléments qui sont l'essence même du génie: deviner et oser. Se donner à ce qui sera malgré la résistance de ce qui est. L'instinct, c'est l'âme à quatre pattes; la pensée c'est l'esprit debout. Dans les temps anciens, il y avait des ânes que la rencontre d'un ange faisait parler. De nos jours, il y a des hommes que la rencontre d'un génie fait braire. Dans tout fanfaron il y a un fuyard. De quelque mot profond tout homme est le disciple. Depuis l'origine des choses jusqu'au quinzième siècle de l'ère chrétienne inclusivement, l'architecture est le grand-livre de l'humanité, l'expression principale de l'homme à ses divers états de développement, soit comme force, soit comme intelligence. Deux choses font la fleur: la graine et le rayon de soleil. Deux choses font le grand homme: le génie et l'occasion. Dieu a fait un nœud que l'homme cherche à dénouer avec deux mains: la philosophie et la Science. Donc, je marche vivant dans mon rêve étoilé! Élevez-vous. Élargissez votre horizon. Quittez l'argile, la fange, le ventre, l'intérêt, l'appétit, la passion, l'égoïsme, la pesanteur. Allez à la lumière. Devenez une grande âme. Passez du géocentrique à l'héliocentrique. »

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 Jean Philippe    @attypique



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janvier 2020 / Un poème inédit de Victor Hugo retrouvé dans sa ville natale: 
https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/doubs-un-poeme-inedit-de-victor-hugo-retrouve-a-besancon_3791419.html


 Les trois "bio" consultées par la rédaction: 




Sandrine Fillipetti, Victor Hugo, Folio, 2011, 353 p.


Jean-Marc Hovasse, Victor Hugo. Tome I : Avant l’exil, 1802-1851, Fayard, 2001. 1337 p. Tome I : Pendant l’exil, 1851-1864, Fayard, 2008, 1285 p

Hubert Juin, Victor Hugo, Flammarion, 1980-1986. 3 vol. 882 p.


Les trois liens recommandés par la rédaction:

http://www.maisonsvictorhugo.paris.fr/fr/victor-hugo/biographie-de-victor-hugo

http://www.juliettedrouet.org/lettres/#.Xh9GMchA5eU








Attypique (avec 2 T) / accès libre / Last Interview Marie Curie



Ils sont entrés dans l'Histoire

Ils font l'actualité

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Attypique / Last Interview  Marie Curie




« ne se laisser abattre ni par les êtres, ni par les évènements » 





Doublement nobélisée, femme d’origine étrangère, pauvre, Marie Curie née Marya Sklodowska  (1867 – 1934), appartient à l’histoire de ces femmes trop souvent oubliées car plus dans l action que dans le verbe.

Née le 7 novembre 1867 en Pologne, à Varsovie alors occupée par les Russes, orpheline à 11 ans, elle rejoint l’université polonaise clandestine (dite Université volante) où elle démontre les qualités d'une brillante étudiante.  En tant que femme, toujours première : première docteur ès sciences, premier professeur en Sorbonne, première à recevoir le Prix Nobel. Première et seule a obtenir un deuxième prix Nobel. Privée de tout, elle ignore la résignation.  Atypique, Marie n’a peur de rien. Elle veut gouverner sa vie et se faire un destin. Pour y parvenir, elle lutte contre toutes les formes d’autoritarisme dans sa Pologne natale de la fin du 19 éme siècle. Marie se bat très jeune pour conserver l’exercice de sa langue (on l’obligeait a apprendre le russe).

Elle participe en Pologne avec ses sœurs aux travaux d’Universités volantes plus ou moins admises par les autorités. Marie qui ne se nomme pas encore Curie arrive alors à Paris. Elle émigre de Pologne pour immigrer en France.

Elle perfectionne vite son français. Elle parvient, suite à sa rencontre avec le scientifique Pierre Curie, avec une ténacité remarquable a se hisser au plus haut niveau de l’enseignement à une époque ou aucune femme n’avait encore été acceptée à ce poste. Des critiques bien sûr s’abattent sur Marie Curie, véritable "anomalie" dans un monde où la République et la science n’acceptent pas les femmes, leur refusent les places et les honneurs. Malgré et peut être à cause de ces obstacles, elle a été l’égale d’Einstein qui l’appréciait, l’a toujours défendue et honorée (lire les « bonus » en fin de Last_Interview).


Via ses découvertes et ses initiatives (d‘unité radio mobile avec les « petites Curies » durant la première guerre mondiale), des centaines de milliers de blessés de la grande guerre ont pu êtres sauvés, les rayons X ont permis de localiser les éclats d’obus logés dans leurs chairs. Aujourd’hui encore, la médecine lui doit beaucoup.  Avec Pierre Curie qu’elle épouse en 1895 à la mairie de Sceaux, en région parisienne, elle rencontre une autre personnalité atypique tout aussi discret et tenace. Pierre sait en plus des théories complexes, construire de ses propres mains des appareils tels que la balance de Curie, indispensable pour établir les lois fondamentales du magnétisme ou bien encore le fameux électromètre piezo-électrique pouvant mesurer de très faibles charges.

Les Curie partageaient l’obstination dans l’effort, la rigueur et la mesure en toute chose 
et une autre qualité rare de nos jours : le désintéressement.

Pour eux qu’il s’agisse de décorations (Pierre les donnait à ses enfants pour qu’ils jouent avec, Marie voulait les faire fondre au moment du conflit de 14-18), d’honneurs de toutes sortes, d’argent avec de potentiels dépôts de brevets jamais réalisés, de valeurs conservatrices dans une France « dreyfusarde et anti-dreyfusarde », le désintéressement constitue le fondement de toute leur éthique scientifique.
Le couple a refusé la Légion d'honneur, Pierre Curie déclarant: « je n'en vois pas la nécessité ». 
Mère attentive  - ses lettres éditées récemment à ses deux filles sont touchantes -  Marie Curie connaît bon nombre de souffrances. Veuve à moins de quarante ans, malade, elle s’acharne a travailler jusqu’à la mort avec une forte ténacité. 

Dans « Madame Curie », livre rédigé en 1938 par sa fille Eve, celle-ci la décrit comme « saine, honnête, sensible ». Dans une de ses lettres rédigées du fin fond de sa chère Pologne, à l’âge de 19 ans, ou elle était employée comme institutrice-gouvernante, elle qui rêvait de faire sa médecine en Sorbonne, elle énonce avec une détermination sans faille un de ses principes : « ne se laisser abattre ni par les êtres, ni par les évènements ».
Un caractère dominé par l’opiniâtreté et l’indépendance. 

L’institut Curie toujours en activité de nos jours (lire les notes en fin de Last Interview) reflète l’ouverture d’esprit de Marie. Ainsi, c’est un des très rares endroits en France ou un hôpital (spécialisé dans le traitement du cancer du sein) est associé à un institut de recherche. Marie Curie, c’est aussi une résistante. La mort accidentelle de Pierre Curie, le 19 avril 1906 rue Dauphine à Paris, renversé par un camion hippomobile, la laisse en « première ligne », jeune mère, jeune veuve,  vulnérable face à une partie importante de la presse xénophobe (l’affaire Dreyfus n’est pas oubliée). Une presse que l’on juge aujourd’hui malveillante sur divers sujets à commencer par le rôle et l’indépendance de la femme dans la société. Pourtant, le 5 novembre 1906, quinze ans après que la jeune étudiante de Varsovie ait pénétré pour la première fois dans l’amphithéâtre de physique, la jeune veuve, neuf mois après le décès de Pierre Curie, reprend à la Sorbonne le cours de son mari, exactement là ou Pierre l’avait interrompu. En 1911, décision unique dans son histoire, le Comité Nobel de Stockholm lui décerne un second prix, celui de chimie, huit ans après le prix de physique.  


Marie meurt le 4 juillet 1934 au sanatorium de Sancellemoz, et ses obsèques furent à son image : discrets. L’acte de décès de Marie Curie relève 
« une anémie pernicieuse aplastique à marche rapide, fébrile. La moelle osseuse n’a pas réagi probablement parce qu’elle était altérée par une longue accumulation de rayonnements. » Suite aux recherches effectuées sur des éléments radioactifs, son corps momifié repose dans un cercueil contenant une couche de plomb de 2,5 mm d'épaisseur. Le 20 avril 1995, les dépouilles de Marie Curie et de son mari sont transférées au Panthéon à Paris.




Last Interview: Marie Curie



Attypique.com : Comment analysez-vous votre passion pour les sciences ? Quelles en sont les origines ?

Marie Curie : « Jeune étudiante, la littérature m’intéressait autant que la sociologie et que les sciences cependant au cours de ces années de travail, en essayant peu à peu de découvrir mes préférences réelles, je me tournais finalement vers les mathématiques et la physique. Je lis plusieurs choses à la fois: l’étude suivie d’un seul sujet pourrait lasser ma précieuse cervelle, déjà fort surmenée ! Par exemple je pouvais lire lorsque j’étais gouvernante en Pologne un livre sur la Physique de Daniell, la Sociologie de Spencer en français et les leçons d’anatomie et de physiologie de Paul Bert en russe. Quand je me sens absolument inapte a lire utilement, je résous des problèmes d’algèbre et de trigonométrie qui ne supportent pas de fautes d’inattention et qui me remettent dans le droit chemin ».




Attypique.com : Comment ressentez-vous votre métier et la place de la science dans cette première partie du vingtième siècle ?

Marie Curie :  « Je suis, de ceux qui pensent que la science a une grande beauté. Je ne crois pas que dans notre monde l’esprit d’aventure risque de disparaître. Si je vois autour de moi quelque chose de vital, c’est précisément cet esprit d’aventure qui me paraît indéracinable et s’apparente à la curiosité. Notre société où règne un désir âpre de luxe et richesse, ne comprend pas la valeur de la science. Elle ne réalise pas que celle-ci fait partie de son patrimoine moral le plus précieux, elle ne se rend pas non plus suffisamment compte que la science est à la base de tous les progrès qui allègent la vie humaine et en diminuent la souffrance. Ni les pouvoirs publics, ni la générosité privée n’accordent actuellement à la science et aux savants l’appui et les subsides indispensables pour un travail pleinement efficace ».



Attypique.com : Ce qu’on nommera peut être un jour le féminisme – défendre la cause des femmes dans un monde dominé par les hommes - ne semble pas constituer une priorité pour Vous. Manque d’intérêt ? Discrétion ? Vous êtes la première femme a avoir ouvert les portes de l’université, seule femme et première au doctorat scientifique.. Auparavant deux ans après votre arrivée en France, vous obtenez votre licence de physique avec mention très bien et à la première place. A l’agrégation, vous êtes reçue encore première le 15 août 1896, je n’évoque pas vos deux prix Nobel, encore une première pour une femme tout comme la rentrée universitaire de 1900 ou encore une fois vous êtes la première femme a enseigner à l’École normale supérieure de Sèvres

Marie Curie : « Il faut défendre quelques principes. Pour Moi parmi les premiers je place : ne se laisser abattre ni par les êtres, ni par les évènements. Il faut par conséquent avoir de la persévérance et surtout de la confiance en soi ».



Vous avez croisé Einstein avec qui une réelle complicité scientifique et sans doute intellectuelle vous liait. Quel souvenir en gardez vous ?

malgré nos recherches aucune réponse possible disponible aujourd’hui

Lire en fin de Last Interview la réaction du physicien lorsque Marie Curie a été attaquée par la presse suite à l’affaire « Langevin - Curie ».



Parmi vos découvertes celle liée à la mise en évidence du radium après trois ans d’efforts et le traitement de de tonnes de pechblende avant de réussir a isoler en 1902 un décigramme de radium puis a déterminer son poids atomique constitue une avancée majeure. Quels ont été les éléments déclencheurs de cette immense découverte ?

Marie Curie : « Il y a eu plusieurs étapes. Si l’on s’attache à l’essentiel, la première en 1898 fut l’annonce avec Pierre (Curie) de la présence d’un corps nouveau doué d’une radioactivité puissante dans les minerais de pechblende. Deux minéraux d’uranium, le pechblende et la chalcolité sont beaucoup plus actifs que l’uranium lui même. Ce fait est très remarquable et porte à croire que ces minéraux peuvent contenir un élément beaucoup plus actif que l’uranium. Le métal en question s’il est avéré pourrait s'appeler le polonium du nom du pays d’origine de l’un de nous. Un deuxième élément radioactif s’il se confirme détient une forte radioactivité. Nous avons proposé de lui donner le nom de Radium ».


Attypique.com : Cette découverte demeure une approche intuitive pour bon nombre de chimistes de l’époque qui ont réclamé une preuve de cette intuition avec une mesure du poids atomique du radium. Ce fut la seconde étape de votre découverte qui vous demandé plusieurs longues années de travail de 1898 à 1902 dans votre fameux hangar à Paris.

Marie Curie : « Oui c’est dans ce misérable vieux hangar que s’écoulèrent les meilleures et les plus heureuses années de notre vie, entièrement consacrées au travail. Je passais parfois la journée entière à remuer une masse en ébullition avec une tige de fer, presque aussi grande que moi. Le soir j’étais brisée de fatigue ».


Attypique.com : En 1902, 45 mois après votre annonce « intuitive » de l’existence du radium, vous annoncez son existence suite à la préparation de 1 décigramme de radium pur et la détermination de son poids atomique à 225. Le rayonnement du radium dépasse toutes les prévisions : il serait 2 millions de fois plus fort que celui attribué à l’uranium.

Marie Curie : « C’est exact et il émet une luminosité qui ne peut être observée au grand jour mais on la voit facilement dans la demi obscurité. La lumière émise peut être assez forte pour que l’on puisse lire en s’éclairant avec un peu de produit dans l’obscurité. Ce phénomène peut s’avérer utile pour distinguer certaines matières comme le diamant rendu phosphorescent par l’action du radium et distingué d’imitations en strass dont la luminosité est très faible ».



Attypique.com : il y a aussi ce que l’on a nommé la Curiethérapie
Marie Curie : « L’action du radium sur la peau a été étudiée par M. le docteur Daulos à l’hôpital Saint-Louis. Le radium donne à ce point de vue des résultats encourageants : l’épiderme partiellement détruit par son action se reforme à l’état sain ».



Accédez a un niveau de notoriété mondial suppose des contraintes notamment lorsqu’il s’agit de votre vie privée. Votre liaison supposée avec votre collègue Paul Langevin en 1911 quatre ans après le décès accidentel de votre époux Pierre Curie a déchaîné les passions dans la presse et l’opinion. Dans cette situation, faut il laisser passer la tempête en l’ignorant (comme le suggérait Einstein lire sa lettre en fin de la Last Interview Marie Curie) ou répondre avec les conséquences que cela peut entraîner pour vos travaux ?

Marie Curie : « J’ai répondu par voie de presse par une communication officielle et j’ai continué a travailler chaque jour. On m’a proposé pour le prix Nobel la même semaine que ces parutions. Peu de temps après cette publication j’ai reçu les excuses officielles du journaliste Fernand Hauser a l’origine de cette « cabale ». Dans ma réponse écrite donnée à un grand quotidien je précisais parmi d’autres points : je considère comme abominable toute intrusion de la presse et du public dans la vie privée. Je pourrais me dispenser de toute explication sur ce qui a été publié à mon sujet. La folle extravagance des allégations relatives à ma disparition prétendue avec M. Langevin m’oblige a faire les plus expresses réserves sur l’exactitude ou l’authenticité de tout ce qu’on pourra m’attribuer. Il n’y a rien de mes actes qui m’oblige à me sentir diminuée ».



Attypique.com : Ne percevez vous pas des risques suite à l’utilisation de vos découvertes ou de celles  de chercheurs en général ?

Marie Curie :  « Je vous répondrai par une phrase de Pierre (Curie) qu’il a prononcé lorsque nous avons reçu le Nobel :  On peut concevoir,  que dans des mains criminelles le radium puisse devenir très dangereux et l’on peut se demander si l’humanité a avantage à connaître les secrets de la nature. Je suis de ceux qui pensent avec Nobel, que l’humanité tirera plus de bien que de mal des découvertes nouvelles ».




Lorsque vous avez décidé d’utiliser les rayons X découlant de vos découvertes et de celles de Roentgen (avec Poincaré et Becquerel) aviez vous conscience des risques qu’ils représentaient pour les personnes qui les « manipulaient » ?

Marie Curie :  « Oui j ai même rédigé une note a ce sujet en 1921. Je précisais qu’a forte dose ces rayons provoquent des affections dites « radio-dermites » sortes de brûlures. La personne qui reçoit les rayons ne ressent aucune douleur qui puisse l’avertir qu’elle est exposée. Sans renoncer aux bienfaits de la radiologie (ne plus opérer à l’aveuglette mais a bon escient) il est important d’en connaître les dangers - dans certains cas gangrène et mort - ».




Beaucoup de personnes pensent que lors de vos manipulations avec le radium vous ignoriez sa dangerosité. Est ce exact ? Vous l’évoquiez dans une lettre à une amie en 1920.

Marie Curie : « Mes plus grands ennuis viennent de mes yeux et de mes oreilles. Mes yeux sont très affaiblis et mes oreilles bourdonnent presque continuellement. Peut-être le radium est-il pour quelque chose dans ces troubles mais on ne saurait l’affirmer avec certitude ».

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© attypique 2020






*Last Interview complète réservée à nos abonnés



Marie Curie dans l'actu:

cinéma  mars 2020 : Radioactive 
https://youtu.be/W1KcE48gIng




Last Interview Marie Curie / Notes de lectures :




« Madame Curie » de Eve Curie, éditions Gallimard, 1981







« Marie Curie » Janine Trotereau Folio Biographies 2011



Autres publications :


« La radioactivité artificielle et son histoire » par Pierre Radvanyi et Monique Bordry, ed. Points Sciences, 1984 ;

« Les Curie : pionniers de l'atome » de Pierre Radvanyi, éditions Pour la Science, 2005 ;


« Les sœurs savantes. Marie Curie et Bronia Dluska, deux destins qui ont fait l'histoire » de Natacha Henry, éditions Vuibert , 2015 ;


« Marie Curie une femme dans son temps », de Marion Augustin, Natalie Pigeard et Hélène Langevin, Grund, 2017



Curie « by » Curie :




« Pierre Curie » par Marie Curie, éditions Odile Jacob, 1996. Texte entier disponible sur 
wikisource ;

« Marie Curie et ses filles. Lettres » de Hélène Langevin-Joliot et Monique Bordry, éditions Pygmalion, 2011.




Films et Vidéos :


Anecdotes : radioactives jusqu’à quand ?


Un fac-similé d’une fiche radioactive est visible au musée Marie Curie à Paris



BONUS : Marie Curie / Albert Einstein

Affaire « Langevin - Curie » : le soutien d’Albert Einstein (novembre 1911) face aux « trolls »




"La vile manière dont l'opinion publique se permet de s'intéresser à vous me rend tellement furieux que je me dois de vous faire part de ce sentiment", écrit le physicien dans sa missive, datée du 23 novembre 1911.
"Si la populace continue de s'intéresser à vous, alors ne lisez tout simplement pas ce ramassis de bêtises, et laissez-les plutôt aux reptiles pour qui elles sont inventées".