"A la Ruche, on crève ou on devient célèbre" disait Chagall qui a occupé un atelier passage de Dantzig de 1911 à 1914. Outre ses célèbres occupants historiques: Fernand Léger, Chaïm Soutine, Zadkine, Archipenko, Marc Chagall, Michel Kikoïne, Jacques Chapiro, Jacques Lipchitz, Henri Laurens, Blaise Cendrars, Alain Cuny… "La Ruche"*, cité d'artistes située dans le quinzième arrondissement à Paris** accueille toujours aujourd'hui dans une soixantaine d'ateliers des artistes contemporains : https://laruche-artistes.fr/artistes/
A l'occasion des journées du patrimoine 2020, pour la première fois "La Ruche" cité "privée" ouvrait "presque" toutes ses portes aux visiteurs. L'occasion pour attypique.com d'admirer les techniques architecturales d'Eiffel voulues par le "premier" mécène**, le sculpteur Alfred Boucher. Cette cité atypique a vu le jour à partir de matériaux et d’éléments de l’Exposition universelle de 1900 et notamment du pavillon des Vins de Bordeaux conçu par Gustave Eiffel. Le "mixte" est sympathique et s'harmonise avec l'esprit universel et cosmopolite du lieu. On retrouve pêle-mêle de l'expo universelle la grille de l’entrée du pavillon de la Femme, les cariatides du pavillon d’Indonésie, la structure de la rotonde de l’atelier Gustave Eiffel. Le Tout dans un écrin de verdure inattendu et enfin protégé des promoteurs.
Alfred Boucher, "père" de La ruche offre le profil d'un artiste généreux. Il a voulu une architecture en conformité avec son idéal phalanstérien*** répandu dans les années 1900. A cette époque, la Ruche était constituée de 140 ateliers dont une soixantaine subsistent aujourd'hui. La Ruche offrait aux artistes une vie de partage plus ou moins spartiate mais riche humainement et culturellement en termes de rencontres et de confrontations. Beaucoup d'artistes connaissant la misère avant la seconde guerre mondiale ne faisaient que passer à La Ruche avant de découvrir pour certains la notoriété. Aujourd'hui, les situations évoluent vers plus de "stabilité" et de confort. "il est impossible de ne pas vivre dans son atelier pour un artiste qui revendique parfois de travailler 24h sur 24h" affirment certains locataires de La Ruche devenue pour les plasticiens qui y résident un véritable "espace de vie". Un lieu de vie attachant mais rudimentaire durant des années.
Dans la fameuse rotonde d'Eiffel par exemple, la distribution des espaces au sein de cette architecture circulaire s'effectue comme des parts de gâteau dont le centre est constitué par un immense escalier en bois sur lequel donnent les portes de chaque atelier. Chaque atelier représentant une part "gâteau" relativement modeste et longtemps privé d'eau et d'électricité. Seuls deux cabinets de toilettes "à la turc" étaient disponibles pour l'ensemble des occupants de La Ruche se souvient un "ancien".
La visite lors des journées du patrimoine permet et c'est une première, de rencontrer certains artistes dans leurs ateliers (Voir la l'interview vidéo en section Bonus de l'artiste Yves Robuschi).
Début XXème, les loyers étaient bas (ils le sont toujours 100 ans après) et Boucher se montrait conciliant. "Une générosité qui s'étendait au delà des aspects matériels pour cet artiste perçu comme "pompier" en laissant une liberté totale de création aux artistes de La Ruche" souligne le peintre Yves Robuschi. A cette époque, un grand espace servait de lieu d’exposition aux artistes présents.
« Le Salon de la Ruche » fut inauguré en 1905. Il existait aussi une « académie » où les hôtes dessinaient d’après modèle vivant. Un théâtre doté de 300 places, la « Ruche des Arts », aujourd’hui disparu, fut érigé dans le jardin central. C’est là que Louis Jouvet fit ses débuts. La Ruche est alors comparée au célèbre Bateau-Lavoir de Montmartre. Ruche ou Bateau la plupart des artistes de cette époque mangeaient un jour sur deux quand ils le pouvaient et survivaient dans une misère indescriptible.
Durant les années 30, La Ruche vît des moments critiques avec la mort d'Alfred Boucher en 1934. Echappant de peu aux promoteurs qui bétonnent particulièrement Paris dans les années 60/70, la famille Seydoux apporte son soutien au comité de "résistance" pour sauver la cité d'artistes d'une démolition planifiée.
Le comité présidé par Chagall avec le soutien de nombreuses personnalités (Francis Biras, Elisabeth Dujarric...) sauve La Ruche des bulldozers et apporte une financement avec le ministère de la culture pour restaurer les ateliers. La Fondation La Ruche-Seydoux, créée en 1985 grâce à la donation de Geneviève Seydoux, assure désormais la gestion et l’entretien. Si des fonds s'avèrent encore nécessaires pour restaurer et rénover les nombreux bâtiments le lieu apparait désormais comme sauvé "administrativement" depuis que la Ruche a obtenu le label Patrimoine d'intérêt général en 2019.
Le bâtiment Fernand Léger (visible du passage de Dantzig) nécessite une remise aux normes (sécurité incendie, isolation, électricité…) pour un montant de 3 M€ d'où l'appel public de la Fondation La-Ruche-Seydoux ( https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/batiment-fernand-leger-la-ruche )
"La Ruche" une des rares cités d'artistes historique et atypique en plein Paris demeure encore au début du XXIème siècle isolée des bruits de la ville et des... touristes. Le "village" teint à sa tranquillité même durant les journées "portes ouvertes". l
Atypique, La Ruche peut le revendiquer haut et fort pour de multiples raisons notamment historiques et artistiques: lieu d'accueil, de refuge, de passage voire de résistance à l'art "académique" entre autres, c'est aussi au plan artistique un foyer de création désormais reconnu****. Mais une telle cité d'artistes pose toujours la même question : au delà de l'aspect matériel, ce lieu historique privilégié de partage et d'échanges entre artistes avance dans quelle direction ? Ses occupant sont ils groupés ou divisés ?
A l'évidence La Ruche demeure un lieu encore propice à la création et aux partages. Dans sa propre histoire, la cité d'artistes a entretenu des mouvements artistiques qui lui doivent beaucoup de "l'école de Paris" à la "jeune peinture" par exemple sans omettre le travail d'artistes contemporains tels que Damien Deroubaix, Pierre Buraglio, Lucio Fanti, Gabrielle Wambaugh et d'autres. Autre occupant célèbre de La Ruche, Ernest Pignon-Ernest. On connait ce précurseur de l'art urbain en France une forme de "street art" bien avant que le système propre au marché de l'art contemporain génère ses propres acteurs : Banksy, Basquiat, JR...
Reste qu'une question se pose: sur le chemin de leurs ainés, où se positionnent ensemble les artistes de la Ruche en ce début de XXIème siècle ?
Ont ils des rêves en commun ? Sur le marché de l'art contemporain, veulent-ils alimenter le "système" ou préfèrent-ils le remettre en cause et rechercher des voies alternatives ?
Concrètement, pourraient ils ouvrir un espace commun pour présenter les oeuvres de "La Ruche" ou s'orientent-ils vers un renforcement de liens plus individuel avec leurs galeristes ? Dans les futurs ateliers bientôt rénovés si les fonds recueillis le permettent, la nouvelle génération d'artistes plasticiens, peintres, coloristes, sculpteurs, photographes, vidéastes... travaille t-elle dans le même esprit de solidarité, d'échange et de partage que celui qui animait leurs illustres prédécesseurs dont bon nombre sont entrés dans l'histoire de l'art ?
Sur ce point précis difficile d'obtenir une réponse homogène. Certaines portes d'atelier sont demeurées closes durant les journées portes ouvertes. C'est plutôt rassurant: La Ruche fait toujours de la résistance mais... à qui et à quoi ?
* https://laruche-artistes.fr/artistes/
** Fondation La Ruche Seydoux 2 passage de Dantzig Paris 75015
*** L’organisation sociale proposée par Fourier se base en effet sur la phalange ou le phalanstère dont le fonctionnement annonce celui de la société future. Il réunit 1620 personnes pratiquant des activités sociales censées laisser s’exprimer librement leurs passions et leurs penchants naturels. Les phalanstères sont des groupements de production et de consommation dans lesquels chaque phalanstérien pratique plusieurs métiers par alternance, ce qui lui permet de développer toutes ses facultés. Les revenus sont répartis entre le capital, le travail et le talent.
**** En 2008, Évian consacre une exposition aux artistes de la Ruche au Palais Lumière
BONUS:
Nouveau : la chaine ATTYPIQUE sur YouTube
https://www.youtube.com/user/ATTYPIQUEavecdeuxT
Publications sur La Ruche (histoire, témoignages, vie quotidienne...):
https://laruche-artistes.fr/publications/
Films / documentaires :
- Jacques Renoir « La Ruche », émission « Pour le plaisir », 1967
- JC Bernard « Chez ceux de Montparnasse », 1957
- André Parinaud « La nouvelle réalité » FR3, 1979
- Jean-Pierre Dougnac « La Ruche, une cité d’artistes », 1986
- Caroline Jauffret Mag-Cités « La Ruche », FR, 1993
- Norbert Liard « La Ruche » Paris Première, 1998
- https://www.youtube.com/watch?v=ysLZwDQOZlI&ab_channel=GrandPalais
- Denis Rousseau Kaplan RFO/2002
https://www.facebook.com/Fondation-La-Ruche-Cit%C3%A9-dartistes-913670948707881/